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Entre les lignes

Là où ça vibre

Il est de ces semaines où la brutalité te presse les entrailles, où la laideur te griffe au visage, où la vacuité obstrue ta gorge.

Il est de ces semaines où la douceur n’a pas les reins assez solides pour rester debout.

Cette impression d’être dans un cul-de-sac et que ce sont toujours les mêmes qui s’en sortent.

Pour te redresser, il suffit parfois d’un dimanche. Après le petit déjeuner tardif. Après l’aspirateur. Après les draps propres et la lessive.

J’ai bon espoir que la tempête fasse son œuvre et nous permette de remonter à la surface.

Tu reprends une grande inspiration à 13h22. Un mail te raccroche à la rampe — chaque ligne libère ta gorge, cicatrise les griffures, desserre l’étreinte sur tes tripes : un résumé de la brutalité, un recueil de petits riens, un tuto pour reprendre ton souffle.

Respirer 101.

Puis le froid ranime tes poumons, les coups de pédale détendent tes cuisses. Sous le chapiteau d’accueil, L. te serre fort dans ses bras, et tu la serres plus fort encore. Elle a la tête de celles et ceux qui ont vécu de ces semaines. Une clope, une file d’attente, des boudins d’air, L. disparaît en coulisses, alors Les Fauves.

Une bête lutte pour ne pas se noyer dans son aquarium, une autre s’emmêle les pattes dans des cordes, une troisième s’effeuille à chaque minute, une quatrième convulse dans sa cage en verre, une dernière s’agite là où on ne l’attend pas.

Toutes luttent pour leur survie. Toutes t’arrachent des larmes – cons de cons. Celle dans la cage en verre te fixe une, deux, trois secondes et dans le casque sur tes oreilles, un homme la chante, elle et ses ratés et sa vie, et son regard te percute une, deux, trois secondes et te déglingue et tu poses la main sur ta bouche, presses fort tes joues, inspires par le nez bien trop fort, tu vacilles, lâches le casque, cherches L. dans la foule, lui attrapes le bras et balbuties une banalité pour respirer 101.

La bête qui lutte dans l’aquarium, ses bulles qui remontent et qui dansent. Ensuite la piste.

Mets-toi de l’autre côté — faut que tu voies la musicienne.

L. disparaît à nouveau. Les bêtes défilent sur scène, loin de leurs cages. La folie les gagne. La musique et les paroles de la musicienne qu’il fallait que tu voies broient les derniers lambeaux de brutalité et de laideur et de vacuité et tu presses fort fort tes joues et tu ne peux pas serrer le bras de la personne à côté de toi que tu ne connais pas alors tu inspires fort fort fort par le nez con de con.

Après, tu ne seras que maladresses et bégaiements et banalités avec L. et les bêtes que tu croises en coulisses. Tant pis.

Froid, poumons, pédales, cuisses.

Kae Tempest. Non-binaire, parce qu’iel l’a décidé. They au singulier, en anglais, selon son souhait. Juste assez grande pour que ses pieds touchent par terre. Épaules assez larges pour assumer ses choix, et assez rondes pour laisser tomber ce qui lui pèse. Chemise ample pour proposer une silhouette plutôt que des formes.

They is beautifulThey is beautiful

Kae se présente, parle d’un éléphant mécanique, prévient que tout va se dérouler sans temps mort, mais qu’on va être connectés, qu’on se retrouve de l’autre côté I promise. Et Kae le fait — déroule, parle, confesse, se rappelle, regrette, constate, juge, condamne, compatit, déplore, crie, déballe, sans reprendre son putain de souffle une seule seconde entre chaque morceau parce que they chante pour respirer 101.

There are things I must record, must praise
There are things I have to say about the fullness
And the blaze of this beautiful life

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