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Les Landes Vivantes

Basses et grésillements

On va voir l’étang ?

Thom s’éloigne de la maison, encapuchonné pour limiter les agressions à répétition des moustiques qui ont une dalle de dobermans défoncés à la weed. On longe l’un de ses champs, des bottes de paille peaufinant le décor.

Tu sais combien ça pèse un machin comme ça ? Quatre-cents kilos. Les mecs sont venus les faire la semaine dernière, je leur ai dit de garder la moitié pour leurs bêtes. Avec dix bottes, j’ai quatre tonnes pour pailler — je suis à l’abri.

En marge des beaux bébés, des théiers. Deux trois lignes d’une dizaine de mètres, guère plus à cet endroit.

J’avais pas prévu de planter dans ce champ-là. Mais j’ai essayé, pour voir. En fait, c’est idéal : la haie leur fait un ombrage quand le soleil tape trop, la légère pente permet à l’eau d’être drainée naturellement. Je crois que je vais me faire quelques rangées d’une soixantaine de mètres par ici.

Au bas de la légère pente, délimitant le champ, de la broussaille qu’il fend d’un pas assuré.

Faudrait que je vienne faucher par ici, pour faciliter le passage lors des ateliers et des visites… Un truc de plus à faire. Un jour.

La longue conversation continue à s’étirer en faisant le tour de l’étendue d’eau. Qu’il parle ou qu’il écoute, Thom pointe une fleur sauvage ou un bosquet qui prend vie après une coupe rase de pins quelques années plus tôt ; il s’avance sur une langue de terre qui fend le plat de l’eau pour contempler l’étang.

Silhouette tranquille sur calme platSilhouette tranquille sur calme plat

Au loin, les basses d’une free party improvisée résonnent et creusent des sourires dans nos barbes. Cette longue conversation qui s’étire a commencé à l’époque où la quarantaine était à mi-chemin. D’abord dans le hangar d’un fablab associatif, puis dans un atelier partagé en plein quartier populo, parfois en terrasse devant une bière. Code créatif, impression 3D, découpe laser et vinyle, bricolage de fortune avec matériaux de récupération — n’importe quoi, pourvu que nos curiosités soient constamment abreuvées. Puis la botanique, les greffes d’arbres fruitiers, les théiers et le travail de la terre ont squatté sa tête, chatouillé ses mains puis l’ont amené dans ces champs. Ses champs, dorénavant. Avec femme et enfant. Enfants, dorénavant.

La route des champsLa route des champs

D’abord un potager, pour apprendre et essayer, qui a aujourd’hui des allures de jardin extraordinaire. Des artichauts côtoient des rosiers, des carottes nantaises poussent à côté de la ciboule rouge et des betteraves, des courgettes s’imposent devant des chous kale mais se font doser par la rhubarbe. Un pêcher a vu le jour sans rien demander à personne. Un poivrier de Sichuan dépasse tout le monde de quelques têtes pour exhiber ses baies. Un tunnel de bambou protège les derniers semis qu’il n’a pas pris le temps de planter.

Gueule d’amourGueule d’amour

Au bord de l’étang, des groupes de pêcheurs campeurs et de familles pique-niqueuses boivent des bières, grillent des saucisses, font crépiter des chips. Deux silhouettes filiformes et chuchotantes dans la nuit tombante sont source de politesse amusée voire alcoolisée mais pas d’inquiétude.

Pink is the new blackPink is the new black

Les voyages à vélo, les joies du camping, l’ascétisme de certains choix de vie complètent la palette des sujets de cette longue conversation qui s’étire. Le temps de faire le tour de l’étang, la nuit tombante est tombée.

On va remonter par le grand champ, au sud. Je vais démarrer l’irrigation — ils ont eu chaud ces derniers temps. Et la pluie de ces derniers jours a décidé de me snober. Il a plu dix kilomètres au nord — un pote m’a appelé — mais pas chez moi.

S’éclairant à l’aide de son téléphone, Thom remonte le champ, rangée de théiers par rangée de théiers, pour ouvrir les vannes des goutte-à-goutte. Chaque rangée est longue comme un terrain de foot. L’essentiel de ses cinq mille théiers, plantés après s’être fait la main sur le potager, est là. La nuit a gommé les perspectives mais pas les sons : le proche grésillement des moustiques et les lointaines basses de la free party délimitent l’espace.

Cinq milleCinq mille

Après la lente remontée, toutes vannes ouvertes, sur deux vieilles chaises en bois aux barreaux incertains, la conversation s’étire encore un peu. Les curiosités sont abreuvées, les théiers en cours d’irrigation, les corps détendus. Le sommeil peut faucher les braves comme d’autres la broussaille — d’un pas assuré.

Le lendemain matinLe lendemain matin

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