C’est l’une de ces journées où tout le monde se fout sur la gueule : les nuages mettent des beignes au soleil, la pluie taillade les nuages, le vent arrache tout le monde, et le soleil se faufile dès qu’il peut. Et rebelote, dans le désordre.
Tout débrancher, puis tout rebrancher — voilà à quoi servent ces journées-là.
Au point de départ, le ciel est une feuille blanche et le chemin à parcourir une inconnue. Plus ou moins cents kilomètres — le moins est là par politesse, la marge d’erreur est dans le plus.
Pas grand chose dans le sac fixé au porte-bagage avant, à part des samoussa au chèvre et aux légumes achetés la veille au marché, un litre de thé glacé, un torchon, une tablette numérique, une casquette et des lunettes de soleil. Rien contre les intempéries. Pas de vêtements de rechange non plus.
Tant pis.
C’est un dimanche émouvant comme une trace de maquillage sur une paupière un soir d’été. Ça n’est pas à sa place mais ça manquerait si ça n’était pas là.
Des bornes et des bornes pour tout débrancher. Des hectolitres de flotte dans le canal.
Des rafales de vent pour freiner les ardeurs — faire du sur place à vélo est possible et humiliant. Des averses de pluie pour hâter le pas — s’abriter ne sert à rien, il pleut à l’horizontal dans ce pays. Des nuages pour reprendre son souffle — le coton du ciel panse les blessures. Des rayons de soleil pour calmer les esprits — table et banc en bois deviennent un bout de paradis.
Et rebelote. Dans le désordre.
Dans les oreilles, Ludovico Einaudi déroule du piano des heures durant.
Quelque part en chemin, La Cueilleuse accueille les cyclistes en quête de ravitaillement. À cette heure, la cuisine est fermée.
Mais le sucré, c’est dispo.
Balançoire au fond du jardin de la maison d’éclusier, tables et chaises dépareillées, cookies et thé glacé.
Ils étaient là avant, il seront là après : les arbres invitent en silence à la boucler, à pédaler, à composer avec le vent et la pluie et les nuages et le soleil.
Chochotte.
La montée de sucre due aux cookies aide aussi.
Il y a trois moments clés quand tu pars vadrouiller :
Celui où tu te paumes. Savoir où on va se perdre est rassurant. C’est par là qu’il faudrait prendre à droite, à un moment — celui du lent retour vers la civilisation, les bagnoles, les panneaux, les priorités à droite et les ronds-points.
Mais se retrouver coincé entre deux canaux est bien aussi. Okay donc c’est là qu’il se rejoignent, à cet endroit qui ressemble à un dimanche : deux cyclistes pique-niquent sur la table plantée là, et les résidents des trois bateaux à quai secouent les tapis et changent les draps.
Le lent retour à la civilisation a une bonne gueule de chemin des écoliers, planqué dans les bois aux abords des villes, serpentant sur les routes des hameaux paisibles, émergeant dans des quartiers résidentiels sentant la merguez et la peinture pour grillages et volets.
Celui où tu douilles. Bien après le coca de che-ri à Sucé-Sur-Erdre. Sur le chemin qui longe cet autre canal, verdoyant et coquet à souhait. Après les zones d’activité. À l’approche de Nantes. C’est là qu’un genou grince et dessine une grimace sur le visage au rythme des coups de pédale. Les derniers kilomètres ressemblent aux dix derniers pour-cents d’une batterie de téléphone portable : dans le rouge, ça va bientôt lâcher, t’espères juste avoir assez de jus avant de rentrer chez toi et recharger.
Celui où tu comptes. La calculatrice s’occupe des finances, le téléphone des kilomètres.
Objet | Montant |
---|---|
Train Nantes-Redon | 4,00€ |
Samoussas du marché | 5,00€ |
Cookies & thé glacé | 7,50€ |
Coca zéro de che-ri à Sucé-sur-Erdre | 4,30€ |
Total | 20,80€ |
Aventure, n. f. :
- Événement surprenant, imprévu qui arrive à une personne ; ensemble de ces événements.
- Relation amoureuse éphémère.
- Entreprise hasardeuse.
- Ensemble d’activités nouvelles, remplies de risque et d’incertitude et pouvant constituer un défi pour l’être humain.
Ouais. Un peu tout ça à la fois.
Allez, demain, glace. Format familial.