Le Polaroïd est mort. La dernière tentative de cliché remonte à la veille au soir, face au snack du camping de Damien.
Le sauvetage (peu probable) attendra le retour à Nantes. Mais entre la vue double et les fuites de lumière par kilos, ça sent la fin à plein nez. Une cérémonie sera organisée, en présence uniquement des proches.
Le réveil avant sept heures pique un peu. Les trois dernières journées ont défilé pleine balle. Arbitraire décision prise pendant la dégustation d’un financier à la frambsoie retrouvé dans le sac (acheté la veille quelque part…) : mollo sur le destroy aujourd’hui.
En passant devant Blois, depuis l’autre rive, la ville en improve grave. Trop même. Presque présomptueuse.
Cherche pas, ma gueule. Il n’y a rien pour toi ici. Taille la route.
Ladite route se fait vite champêtre. Les champs de blé ou de tournesol, les mottes de foin qui sèchent. Puis les bourgades et leurs curieux mélanges : d’immenses et impeccables maisons secondaires côtoient les corps de ferme un peu plus crasseux ou les coquettes bicoques de retraités qui s’affairent dans les jardins de bon matin. Il y a les grimpettes à plusieurs reprises offrant de beaux cadeaux : l’impeccable et élégante géométrie des coteaux. En s’approchant d’un pied de vigne, c’est l’impeccable (encore) sphère de chaque grain qui scie les pattes. La nature a tué le game depuis bien longtemps.
Voir des pieds jeunes, plantés cette année peut-être, fragiles et protégés, côtoyer d’autres qui semblent plus âgés qu’une peinture classique dans un musée, c’est connement beau. Des générations se succèdent.
À Mosnes, l’épicerie du village trône au croisement et fait passer l’église pour un vulgaire bâtiment administratif : ses 3 tables et chaises sont colorées et accueillantes, la patronne est sur le pas de la porte, fumant tranquillement une cigarette, discutant avec tous les cyclistes qui s’installent quelques minutes. Elle a du pain, des viennoiseries et prépare des sandwichs à la commande.
Par contre, je n’ai plus de jambon. J’ai tout fini hier. Mais on me livre dans quelques minutes.
Une petite famille s’attable. Madame apprend à l’épicière que son échoppe est référencée dans le guide du routard de cette année consacrée à La Loire à vélo, dans la catégorie bonnes adresses. Si l’épicière semble ravie de l’apprendre, il n’est pas exclu qu’elle s’en foute : elle prend juste plaisir à bien accueillir les gens.
La minute qui suit le départ de l’épicerie, UN CONNARD DE MUR SE PRÉSENTE. Une côte, quoi. Trois fois rien, 50 mètres à grimper, peut-être moins, mais qui apparaissent au sortir d’un virage à 90 degrés et sèchent net toute tentative d’ascension.
Cherche pas, mon con. Tu vas poser pied à terre, comme tout le monde.
Si les chemins de traverse pouvaient parler…
Une fois en haut, les vignes, encore. Et même un petite route au tarmac impeccable, offrant une petite pointe de vitesse enjouée.
Si Blois apparaît présomptueuse, Amboise fait sa coquette à la seconde où des yeux se posent sur elle. Un droite gauche et une descente un peu raide la révèlent, mais de dos, par coups d’œil uniquement — la pente est vraiment raide, et la pelletée de promeneurs qui l’empruntent collent un handicap supplémentaire.
Tout le monde est plus beau à Amboise, même les touristes. Les ruelles sont tromeugnonnes. Même quand le bitume est dégueulasse (et c’est le cas dès que tu quittes les deux rues piétonnes touristiques), c’est plus charmant. Ici, un petit garçon sans dents de devant porte une marinière. Tromeugnon. Comme une ruelle. Là, une petite fille déambule avec une ombrelle. Une ombrelle.
Le temps d’un coca suffit à tomber amoureux de cet endroit, au point de vouloir passer sa vie là, sur cette terrasse, à contempler le spectacle de l’espèce humaine tromeugnonne. Uniquement si tous les matins du monde sont une chaude matinée de juillet, évidemment.
C’est une hernie. Ça peut éclater à tout moment.
C’est la raison du passage (obligé, de fait) chez Cycles Richard, à Amboise, mais nord Loire.
Une hernie est une déformation du pneu. Ce qui est normalement d’une régularité exemplaire — le pneu, donc — se tord en chicane. A chaque tour de roue, la déformation s’accentue jusqu’à déchirer le pneu puis éclater. Une sorte de hernie discale, mais sur un pneu, donc.
C’est après avoir rêvassé à une terrasse, avant de remonter en selle, que les yeux ont détecté l’anomalie.
Faut changer le pneu. Il sera prêt à 15 heures.
Il n’est pas encore midi, déjà 50 kilomètres au compteur.
Bon.
Lente marche de touriste, repas de touriste à une terrasse de touriste, puis courte marche digestive en quête d’une oasis.
A 11h39, c’était l’émeute dans la rue commerçante. A 12h32, c’était l’émeute dans la rue des restos, au pied du château. Après le dej, c’est dans la rue commerçante qu’il convient de se rendre. Les boutiques ont tiré les rideaux le temps du repas, seuls persistent les rares troquets et restos égarés. Dont le comptoir amboisien, qui a 4 chaises longues calées dans la ruelle. Le repos syndical idéal pour patienter bien mignonnement jusqu’à la fin de l’opération hernie.
Coca, bouquin, détente.
Retour en selle à 15h05. Mignon cafouillage en sortant de la ville pour récupérer la piste puis le champêtre revient dans le game. Les 10 derniers kilomètres jusqu’à Tours paraissent le triple, sans raison aucune.
L’entrée dans Tours est un délicieux cauchemar. C’est bruyant, puant, agressif. Bagnoles, estafettes, camions et scooters dans tous les sens, à tous les croisements. Pour espérer traverser la ville du nord au sud, passage obligé par l’avenue Grammont, la plus longue et la plus affreuse de Tours. 3 kilomètres de ligne droite bitumée, encadrée par du béton de part et d’autre. Représentatif de l’influence de l’automobile sur la ville pendant les 100 dernières années. Tout est fait pour la circulation de la voiture, le reste se greffe comme il peut et souvent mal. Les 3 bornes à vélo en paraissent 10; les voies de bus disparaissent soudainement quand l’automobile a besoin de place; l’environnement ne présente aucun intérêt (puisqu’un automobiliste se concentre, par définition, sur la route); hors chaussée réservée aux automobilistes, les revêtements sur les contre-allées sont déplorables.
Ajoutez à cet enfer la valeur de représentation sociale de la voiture et traverser une ville devient une dépression et une envie de suicide combinées. À chaque feu rouge, le spectacle désole : les berlines sont gigantesques et encombrantes, les SUV & 4x4 hideux et vulgaires, les citadines & hybrides hypocrites. Comme la dépendance au pétrole ne suffisait pas, augmentons encore davantage la dépendance à l’énergie électrique.
C’est donc à ça que ressemble une ville vu de l’extérieur.
Trois kilomètres éprouvants. Mais au bout, un cadeau : le parc du lac de la bergeonnerie puis le parc de la gloriette. À croire que celles et ceux ayant pensé ce voyage l’avaient prévu.
Tu vas vivre un cauchemar éveillé sur trois putains de kilomètres. Mais après, promis, une friandise.
Le bruit, le gris, tout disparaît. Ne reste qu’un serpentin qui contourne le lac puis se poursuit dans le parc. Le tarmac est… silencieux. Pas de bruit de roulement, on entend le bruissement des feuilles dans les arbres en roulant. Très vite on rejoint le Cher. Plus humble que la Loire mais pas moins sauvage.
À Savonnières, le camping du soir est décevant. Moche, mal entretenu, étouffant. À croire qu’il est né dans une ville.
La douche apaise, les étirements aussi (Romain, si tu lis ces lignes : merci pour le tuto étirements à l’apéro, ça me sauve la vie tous les soirs), les nouilles ramen brûlantes en remettent une dernière couche.
Calme ta oije. Miami-miam puis dodo.
Si les nouilles pouvaient parler…
Kilométrage
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