Il a le cul posé sur la banquette arrière de la bagnole d’un mec. Ouais, un pote. Si on veut. Ledit pote, au volant de sa poubelle garée près d’la plage, lui passe le cul d’la vieille pour toussoter la dernière latte. Une boulette incandescente pique en flèche sur le pull de Mike. Geste nerveux d’la main pour éviter la combustion humaine. Puis il s’allonge sur la banquette déchetterie. Un truc lui flingue le dos. Il tâte le terrain et déterre un survivant. Un Polaroid SX-70.
Le truc ne ressemble à rien. Son pote lui offre — une merde de moins dans la caisse. Le lendemain, Mike prend en photo le guidon de son BMX. Il trouve çà cool. Il prend aussi en photo les mômes de son quartier. Avec le BMX, c’est bien le seul truc de cool dans sa vie. Le bahut, il a retapé et il s’emmerde — il n’y va plus. Son taff de mise en rayon à la supérette, il s’est fait virer. Sa mère picole, déprime à longueur de journée et collectionne les mecs foireux. Son père, en zonzon. La lose intégrale.
Il rencontre Savannah un soir. Elle a 17 ans, comme lui. Elle est belle, elle est punk, elle partage ses glaces — la même cuillère à deux. Il tombe amoureux. Puis elle s’en va — sa mère au parcours chaotique l’emmène ailleurs. La lose, gag récurrent. Changer d’air semble la solution.
Un sac à dos, ses lunettes cul-de-bouteille, son polaroid. Un jour quelconque de 2003, il va à la gare de triage. Il attend et grimpe sur un long convoi de marchandises. Il rencontre du monde sur ce train — planqués sur les plateformes, coincés entre deux wagons. Il sympathise, la truffe au vent. Ce train le mène à Jacksonville, Arkansas. Ici ou ailleurs… Floride, Louisiane, Texas, Arizona, Colorado, Californie, Oregon, Washington, Pennsylvanie… Pendant six ans. De trains en squats. De cabanes en nids de merde. Dans un duvet ou sur du carton. Parfois dans un lit — couch surfing roots.
Soup, Tod Seelie, Bud, David “the Bike Guy”, Monica, Denis, Chris, Tony, Swell… Des gueules, dans tous ces lieux, il va en croiser, en voir, en aimer. Il déclenche face à celles qui lui plaisent. Pour le film, il en achète un peu sur le net quand il peut, en vole dans les magasins quand il en trouve.
Il fait un site internet: plrds.com. Il y montre ses photos et celles de ses potes, lorsqu’ils trouvent un scanner. Ce qu’il voit avec son appareil et montre sur son site plait.
En 2006, Polaroid cesse la fabrication de ses films. Entre temps, un couple d’amis de Philadelphie lui montre les rudiments de la photo argentique. Il se dégote un Nikon F3, un objectif 35mm, fait une croix sur le Polaroid mais le garde au chaud et continue son voyage. Les trains, encore. Les visages crasseux, toujours. Train hoppers, routards…
En 2008, brutalement, il en a plein les pattes de s’encrasser le cul sur le sol. Il prend conscience: ses journées, et celle de ses compagnons de route, sont dédiées à ne rien branler. Et se demander quoi branler de leur vie. Et à bouger, encore.
Il change de cap brutalement.
Il arrête la photo, ferme son site internet et suit une formation de mécanicien au Nashville Auto Diesel College. Son diplôme en poche, il s’installe à Oakland, Californie.
En 2012, Jack Woody, un éditeur croisé sur la route quelques années plus tôt grâce à Paul Schiek — un fan de la première heure des photos de Brodie — lui propose de faire un livre. A Period of Juvenile Prosperity sort début 2013. Un bijou très grand format. Une soixantaine de clichés sur les sept mille qu’il a dû prendre pendant ses années d’errance. Uniquement des photos faites au Nikon. Un deuxième recueil, Tones of Dirt and Bone, sort début 2015. Uniquement des polaroids — les premières années, donc. 2004–2006. Récemment interrogé sur son travail, il a été limpide:
— Do you think you’ll pick up a camera again soon?
— No.
Il s’appelle Mike Brodie — The Polaroid Kidd. Il vit toujours à Oakland, Californie. Avec sa nana, Celeste. Il ne fait plus de photo. Mais ses clichés, eux, continuent le voyage.