|||

Quand vient la nuit

En un souffle

D’un coup d’un seul. Bermuda, chemise, gourde, clés, téléphone, écouteurs et claquement de porte. Lecture.

Anne de Bretagne est une bosse. L’ascension freine l’élan, la descente offre une grande inspiration. À son pied, sur l’ile, le jardin des berges, déjà brûlé par le soleil, est consciencieusement poncé par les amateurs d’apéros collectifs dans la lumière du couchant. Le Point Bar festoie derrière le bunker. Dans la rue de la Tour d’Auvergne, Le caboulot a fait le plein, pousse les murs et grignote le trottoir pour rafraichir à grandes rasades les badauds rougeauds échaudés par la canicule. Paws débite des saucisses au kilomètre, l’odeur de la moutarde au miel change la couleur des murs alentour.

La traversée de l’Île de Nantes sert à trouver le rythme. C’est moins une question de vitesse que d’allure. De flow1 : le flux, le débit. C’est un jeu : qu’importe la vitesse, la sensation doit être celle d’un seul souffle pour parcourir une distance inconnue. Ne pas poser le pied à terre, savourer la sensation d’équilibre, se faufiler quand c’est possible, apprécier la circulation de l’air chaud dans les poumons, varier la vitesse pour éviter l’arrêt brutal, apprécier les descentes et composer au mieux avec les côtes, faire fi des règles de sécurité pour la beauté du geste. Bref : ne pas casser le flow. La musique aide dans ce genre de situation. Et la ville à la tombée de la nuit est le terrain idéal pour le flow à vélo.

Sur le pont Willy Brandt, l’hôtel qui surplombe le stade intimide les chalands en dissimulant le soleil mais offre des couleurs à pleurer tellement c’est doux et chaud.

Main basse sur le soleilMain basse sur le soleil

Tout le quartier au sud de la gare a une gueule de modélisation 3D sur les pancartes des promoteurs immobiliers, mais IRL : les pancartes sont de devenus de vrais bâtiments, à l’apparence aussi factice que leurs modélisations quelques années plus tôt. Lever les yeux au ciel une seconde suffit à faire un bond de 7000 bornes jusqu’à Miami.

Oyé sapapaya, ça vous dirait un ice cream avec mon ami et moi ?Oyé sapapaya, ça vous dirait un ice cream avec mon ami et moi ?

Les restos en rez-de-chaussée ont l’authenticité d’un bout de plastique thermo-formé, un carrefour sur deux est un champ de bataille. Pour garder le flow, quelques changements de cap et zigzags s’imposent.

Construire et contraindreConstruire et contraindre

Une rue sortant de terre (et l’étouffant au passage), interdite d’accès par des barrières grillagées, permet de se faufiler Gare sud. Avec un peu d’adresse et d’équilibre. Garder le flow. Sur le parvis, la population, nombreuse à cette heure, a investi les tables et les bancs situés aux abords. Les discussions sont enjouées, les rires tonitruants, les trajectoires erratiques. Barrières vauban, droite gauche, quelques boucles sur un bout de trottoir pour attendre le passage d’une boîte à roues au rond point du Mercure Hôtel. Garder le flow. Le Petit baigneur, la Drôle de barge et le Lieu Unique ont fait le plein. La canicule ponce les sols mais remplit les poches des restaurateurs.

Sur la piste cyclable le long de la voie ferrée côté sud, le principal plaisir est un truc de gamin : rouler à vive allure sur les plaques d’égoût — nombre d’entre elles sont brinquebalantes. Le claquement puissant de l’épaisse tôle résonne, réveille les piétons qui se croient à la maison et offre une infime mais savoureuse décharge de satisfaction.

Côté nord, au sud de Feydeau, des grappes de livreurs Deliveroo investissent les pelouses et s’inventent une pause syndicale. Les babtous les ont fait courir en début de soirée pour s’enfiler des burgers sur-facturés et des sushis mal préparés mais bien photographiés.

Baby, you can ride my bikeBaby, you can ride my bike

Sur le miroir d’eau au pied du château, la marmaille crapahute en slip et en file indienne le long des jets d’eau, tandis que les parents s’enfilent des bières tièdes et des chips molles sur les pelouses alentour.

Mimi CracraMimi Cracra

Douce ascension de la rue Henri IV, le long du cours Saint-Pierre. Garder le flow. Maintenir le cap sur la rue de sully escortant le cours Saint-André puis savourer la descente le long du square maquis de Saffré. Zig zag sur le rond point pour récupérer la piste le long du canal. Garder le flow. Prendre le coude au Waldeck puis tirer vers l’est avant de retomber sur la rue général Buat. À l’angle avec la rue Evêque Émilien, Le Grenier dégueule sa clientèle sur la route.

On the road againOn the road again

Caserne Mélinet, La Belle de Jour accueille une soirée NUPES. Barnum, banderoles, musique de bal pop’ pleine balle. Plus loin à gauche, la rue Morrand offre ces quelques bulles nantaises : ces petites rues qui fleurent bon les coquettes liasses, coincées entre deux grosses artères où les populos s’entassent sur des barres grises et austères.

Vue sur les liassesVue sur les liasses

Traverser le pont de la Tortière puis se perdre. Quand on ne sait plus où on est, on regarde plus où on est. Et on observe les molles et pernicieuses dérives dans les petites rues dont les résidents ont un jour décidé qu’ils seraient les seuls à pouvoir l’emprunter. Alors ils ont contacté des prestataires spécialisés pour leur installer des barrières de sécurité et des accès contrôlés. D’autres à deux pas ont trouvé que c’était une bonne idée et l’ont copié, comme toutes les idées qu’on trouve bonnes. Et ainsi de suite. Ad libitum. Avance rapide jusqu’à un soir de printemps caniculé où le message adressé au reste du monde par ces barrières innocentes est clair.

Dégage. Tu n’es pas le bienvenu.

Le coût réel de la tranquillité supposée semble être une violence sociale peinte en blanc et rouge. Une barrière au bout d’une rue ne devrait avoir qu’une seule fonction : rendre la rue aux passants qui passent à pinces ou à pédales.

Rue Pierre Loti (sans barrière), le spectacle est dans le nez. Des jardins s’échappent des odeurs de barbecue, du macadam arrivent des effluves de pisse de chiens trop grassement nourris pour être honnêtes.

Un panneau redonne un coup de fouet soudain.

🚲 Talensac 11 min.

Une bonne idée. Un trajet de petites rues longeant la rue Paul Bellamy (sans trop s’en approcher), artère peu séduisante pour un flow de qualité. À l’arrivée sur Talensac, Au Bon Coin fleure bon les dates Tinder à plein nez.

C’est quoi ta couleur préférée ?C’est quoi ta couleur préférée ?

Le marché couvert roupille en silence, Pioche est étrangement calme. La chaleur a eu raison des joueurs, on dirait.

Dodo, l’enfant doDodo, l’enfant do

Descente de la rue Jeanne d’Arc avec la banane aux lèvres. Pas une bagnole, une bonne vitesse, une expiration suffit à atterrir rue Paul Bellamy, faire un détour par le Bateau Lavoir et ses allures de croisière immobile avant de faire un large demi-tour — le flow le flow — pour redescendre le cours des cinquante otages. Prendre de l’allure pour rattraper le roller qui vient de passer pleine balle, prenant son pied à filer sur la piste cyclable.

Vers l’infini et au-delàVers l’infini et au-delà

Un livreur Deliveroo électrifié nous précède de quelques mètres. Forcer sur les mollets pour le dépasser puis bifurquer vers la place du Bouffay où l’Éloge du Pas de Côté reste imperturbable au milieu du brouhaha.

Fragile équilibreFragile équilibre

Droites gauches stratégiques pour éviter les foules et arriver rue Lambert qui se termine en entonnoir, à peine plus large qu’un guidon de vélo. Mais ça passe. Le flow. Le Café du Cinéma et le Chien Stupide sont animés. La Cathédrale se remet de ses blessures et invite à passer son chemin direction la Préfecture.

Dégage. Tu n’es pas le bienvenu.Dégage. Tu n’es pas le bienvenu.

La République sait se montrer imposante, ostentatoire. Et tape-cul, grâce aux pavés. Virage à gauche direction Léon Blum — fermée à la circulation grâce à une barrière qui remplit bien sa fonction. Les 50 mètres de rue sont animés et bruyants, les cartons de pizza naviguent entre les tables, les serveurs transbahutent des hectolitres de bière, les décibels maintiennent un régime élevé. Mais chutent net dès qu’on passe la barrière pour rejoindre la rue Saint-Léonard. Net.

Place du Cirque sur Arche SèchePlace du Cirque sur Arche Sèche

Rejoindre la place du Cirque, passer sous l’arche, traverser la Place Royale en la snobant, poncer la rue Crébillon en danseuse — le flow — et tomber sur la Cigale aux allures de Titanic : la richesse se gave alors que le bateau coule, épaulée par des pingouins aux p’tits soins.

Le charme discret de la bourgeoisieLe charme discret de la bourgeoisie

Descente jusqu’au Quai de la Fosse. À l’est, le Lumberjack distribue des mètres carrés de pizza à la part. En prenant vers l’ouest, restos et kebabs font le plein aux abords de la médiathèque. Au sud, sur l’Île de Nantes, De temps en temps, l’œuvre installée sur le bâtiment d’Harmonie Mutuelle — un baromètre géant, fait son job en dessinant un grand cercle rouge qui perce parfois entre le feuillage des arbres.

Risque de caniculeRisque de canicule

Un feu tricolore menace à l’angle avec la rue Mathurin Brissonneau. Tant pis. Le flow. Pédaler plus fort, le passer au rouge, voir le SUV démarrer, l’oublier, savourer l’instant. Éloge de la transgression. Oublier la piste cyclable, le respect de la petite voie allouée pour apprécier la double voie jusqu’au rond point avant l’ascension du boulevard Salvador Allende. Longer les graff’, grimper jusqu’au Boulevard de l’Égalité, passer devant Les Frangines, où une brune a les yeux qui pétillent, même quand elle pleure.

Shine like a diamondShine like a diamond

Égarements. Longue et savoureuse descente de la rue des pavillons qui porte si bien son nom. Le flow. Sur le boulevard Cardiff, le vinaigre des frères Caroff empeste sur une centaine de mètres avant de disparaitre. Puis viennent le jardin extraordinaire, les anneaux de Buren, un camion de pompiers, une voiture de police, le 40 pieds, la piste cyclable et la place René Bouhier offrant le spectacle de la nuit : le jaune des lampes à sodium sur le bleu qui s’assombrit.

Pousser jusqu’à un rond-point, puis un autre. Encore un. Revenir, grimper sur le trottoir, freiner, descendre,

TerminéTerminé

Une boucle imparfaiteUne boucle imparfaite

rentrer, valdinguer les sapes, douche, prendre à boire et à manger, s’assoir, ouvrir l’ordinateur, nouveau document, créé aujourd'hui à 23h24, trouver un titre, mouais, plus tard, d’abord re-situer, hésiter, se souvenir, gribouiller, formuler, les heures défilent, tant pis, Trangression, le flow.

Relire. Choisir un titre. Publier.

Quand vient la nuit

05h17

Auto-portrait sur selle, en mouvementAuto-portrait sur selle, en mouvement


  1. Les anglicismes, parfois. Parfois.↩︎

m'écrire
Pour recevoir les nouveaux billets par missive électronique,
LA SUITE Chambre avec vues • #1 Tampons vulgaires
DERNIÈRES BRICOLES Bonnes gueules Film catastrophe Le jour et la nuit (Re)commencer Chambre avec vues • #20 Chambre avec vues • #19 Les choses que l’on possède finissent par nous posséder Chambre avec vues • #18 Chambre avec vues • #16 Chambre avec vues • #15 L’aventure, c’est pour les riches Les motifs de l’été Holiday on wheels Touriste à domicile Chambre avec vues • #14 Ouvert la nuit La couleur de l’été Les Landes Vivantes Chambre avec vues • #13 Chambre avec vues • #12 Art photogénique La bascule Les maux des murs Chambre avec vues • #11 Quotidien & intime Chambre avec vues • #10 Chambre avec vues • #9 Chambre avec vues • #8 Redémarrage en cours La déglingue Chambre avec vues • #7