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Bill Cunningham

Victime de la mode

Samedi 25 juin 2016, Bill Cunningham est mort à l’âge de 87 ans. Le même été, Maurice Dantec, Bud Spencer, Michel Rocard et Michael Cimino nous quittaient également. Hécatombe ?

Bill était sans doute le moins médiatique d’entre eux.

On the street, sa page dans le New York Times, avait chaque semaine une sacrée gueule. Motifs, couleurs, tissus, chaussures — selon son repérage du moment. La photo de mode de rue, c’est ce mec-là. Voler un look, une touche, une attitude. Toujours avec bienveillance, émerveillement et amusement.

Bill Cunningham, selon ses propres termes, n’a jamais fait de bonne photo — digne de finir dans un livre posé sur une table basse à l’heure de l’apéro. Mais pendant plus de trente ans, il a croqué tout ce qui détonait au milieu du gris conformisme.


Bill Cunningham New York (2010)

S’il t’ignore, c’est la mort. À l’époque du documentaire, il en est à sa 29ème bicyclette. Cause vols à répétition. Il répare sa cape de pluie au gaffer. Il vit dans un cagibi plein à craquer de meubles d’archives contenant ses négatifs. La salle de bains et les toilettes sont sur le palier, au fond du couloir, au 12ème étage du Carnegie Hall Studios, un bâtiment reconverti en ateliers d’artistes en 1960. Il porte une vieille veste de chantier bleue. Il mange tous ses repas sur un coin de table.

We all get dressed for Bill.

Accessoirement, il photographie les soirées mondaines de New York et les défilés de mode. Avec son œil bien à lui. Mais surtout, surtout, il photographie la rue. Comment les gens s’approprient la sape, les looks qui détonnent, les styles qui émergent.

Oui, oui, passer trente ans à faire ça quotidiennement peut sembler bien futile. Mais le mec a développé un regard, un goût, une sophistication que peu de gens acquièrent.

Il fête ses 80 ans en 20091 et a encore sa double page dans le Times chaque semaine. Le cinéaste parvient à capter un truc très cool : voir ce gars-là bosser. Taper du pied sur le trottoir en attendant un truc qui réveille ses rétines soudainement. Voir la nervosité, l’énergie, d’un homme en quête perpétuelle.

Mais sa frugalité intransigeante, sa pudeur maladive et son humilité excessive sont, d’une certaine façon, les vrais sujets de ce film qui tente de poser sur ce photographe le même regard bienveillant qu’il a lui posé sur les gens pendant des décennies.


The times of Bill Cunningham (2018)

Use it like a notebook. Construit autour d’une interview qu’il accordé en 1994 à un jeune journaliste, ce film, sorti deux ans après sa mort, permet d’en apprendre plus sur son parcours. De ses débuts comme designer de chapeaux parce qu’il en avait envie, à ses détours par le journalisme écrit avant de se rendre compte qu’un simple appareil photo, offert par un de ses amis photographes, se révélait le meilleur outil pour consigner tout ce qu’il voyait.

Comment il a aiguisé son regard, avec qui, grâce à qui. Un bon complément au précédent film pour essayer de mieux saisir comment un homme singulier s’est construit.


Iris (2014)

Quatre-vingt-dix piges et une garde-robe à faire passer Elton John pour un croque-mort.

Excentricité, audace, exubérance.

Et Bill, parfois, dans un coin de l’image. Comme un rappel : les gens qui se sapent existent dans les yeux de celles et ceux qui le regardent.


  1. époque de tournage du film↩︎

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