Quand deux kayaks se rencontrent, ça bastonne sec, à s’en luxer l’épaule. Ils se percutent pleine balle, oscillent comme des dingos pour faire chavirer l’adversaire, se redressent en une demi seconde quand ils sombrent et repartent à la charge aussi sec, jusqu’à ce que l’un des deux soit mort. Joe Pesci dans Casino de Scorsese, version sport d’été.
Le dîner à pont d’Ouilly se déroulera devant ce spectacle — un entraînement musclé –, quiche au chèvre et à la tomate dans une main, zouzou dans l’autre.
Un pain au chocolat a toujours meilleur goût réchauffé par les premiers rayons du soleil. Les premiers kilomètres, au matin. Reboutonner les manches de chemise s’avère une bonne idée. À l’ombre des forêts fraîches et humides de la vallée de la Rouvre, les tétons pointent dangereusement vers le ciel, fort, fort, fort. Un genre de supplique — let the sunshine in.
Succession de virages dangereux sur une distance de 1500 mètres
Succession de virages dangereux sur une distance de 1000 mètres
L’entièreté du code de la route est bien évidemment pensée pour les automobilistes, à quelques détails près. Tenter de cadrer le comportement des humains instinctivement égoïstes et brutaux, à qui on a confié des engins de mort d’une à deux tonnes montés sur roue, semble une tâche à la fois noble et vaine. D’où l’idée des pictogrammes simplistes et sans équivoque, pour aller taper direct dans le cerveau reptilien.
MOLLO SUR LA PEDALE DE DROITE T’ES PAS TOUT SEUL MON CON
Une traduction honnête de ce panneau à l’attention des automobilistes.
Ça va tirer sur 1500m. Courage.
Si le code de la route devait être adapté pour prendre les modes de circulation douce en considération, les mêmes panneaux prendraient un tout autre sens.
Le bâtiment accueillant les visiteurs est aussi chaleureux qu’un parloir de prison. Et quand il est fermé, comme à cette heure bien matinale, c’est un Quartier Haute Securité — pas de visite. Malgré ou grâce à sa laideur, la bâtisse fait le job. Celui de videur, de physio. Décourager les nazes.
La roche d’Oëtre offre une honnête vue sur toute la vallée de la Rouvre. À cette heure matinale — il n’est pas encore 9 heures –, le vert des arbres ouvre l’appétit, la ferme surplombant un champ sur les hauteurs au sud frise l’impressionnisme et la hauteur t’offre une seconde d’immortalité.
Au royaume du champêtre depuis le départ. Le vert qui dégueule de partout rafraîchit les coups de chaud en côte, égaye les descentes, constelle d’étoiles les routes cabossées.
Des caillasses qui claquent et fusent sous les roues, une terre tassée et sèche malgré la verdure, le trajet vire au chemin de baroudeur se perdant entre les champs et les pâturages pour atterrir à la Pilonnière et son vigile maître chien. Le pas est lent, le chien docile, le salut cordial.
L’arrivée à la Carneille par les petits chemins et l’ascension jusqu’à la route principale se fait dans la douleur pour les cuisses. Un putain de mur sans avertissement aucun, le dernier coup de pédale se fera en poussant un cri de joueur de tennis en pleine finale de Roland Garros. Le club des supporters de Guillaume Martin accueille alors les champions et championnes qui ont réussi la grimpette. La reproduction à l’échelle trois quarts voire un demi dudit Guillaume est du plus bel effet. Un Hobbit en papier brillant déguisé en têtard bariolé qui sourit comme un con à la caméra.
Tout le coin semble avoir été racheté par les hobbits. Les devantures des maisons sont coquettes, les jardins taillés au coupe ongles, les vernis sur les boiseries renouvelés tous les 5 ans pour éviter toute trace de vieillissement prononcé. Peter Jackson aurait dû venir dans l’Orne. Bilbo Sacquet de la Folinière.
Champs et pâturages, arbres gardiens, routes qui serpentent et humeur badine. Comme une envie de poncer toutes les routes du monde. Et l’odeur de l’humidité des sous-bois traversées en un souffle… à mesure que le soleil se dresse dans le ciel, l’odeur change, s’estompe, lutte. Et ces fougères, exposées en plein soleil, qui décident de tirer vers le haut - fini de raser les mottes. Dressées sur leurs tiges, elles défient le soleil avec une douce arrogance.
Vas-y crame-nous, champion. Juste pour voir. On est prêtes, mon con.
Trois pêches plates juteuses à en chialer du champagne de bonheur et un coca zéro pas assez frais hors de prix sont les seules et uniques douceurs que Flers propose. Le château offre certes une enclave paisible et proprette, mais la puanteur urbaine est trop forte. Des rues commerçantes avec des enseignes insipides, une arrivée par l’Est sur une route apartheid. Au sud, les riches et leurs vastes demeures, au nord les ploucs et leurs bicoques en parpaings gris et puants. Quand celui du sud gare sa Mercedes au nord pour la maintenir à l’ombre — à l’ombre des parpaings, le tableau vire au chef d’œuvre de brutalité du monde, de violence de classe, de mépris insidieux.
Il a peur que sa bière se réchauffe avec le soleil du matin alors il se lève pour changer de table. Bonne nouvelle : une table ombragée est disponible à deux pas d’une femme, qui vapote une clope électronique grosse comme un aspirateur balai Dyson. Il commence par téléphoner. Il s’impatiente. On lui répond enfin. Il exprime son impatience à son interlocuteur — il est directeur, lundi y’a du boulot et personne ne répond pour voir où en sont les choses. Il dit très bien, il dit qu’il rappelle. Il soupire et continue sa complainte. C’est à ce moment-là qu’elle intervient :
J’entends rien. J’écoute de la musique avec mes oreillettes.
Il bredouille. Il demande vous écoutez quoi ?
De l’opéra.
Il ne se démonte pas. Il cite la Castafiore, Pavarotti et Notre dame de Paris en prenant soin de glisser vers le ton interrogatif. Elle ne répond plus.
Sur toutes les terrasses du monde, les importuns tapis dans l’ombre…
Le coca pas frais dans le bide, fuite de Flers à bonne allure. Bye bye grisaille, bonjour douceur. La voie verte repointe le bout de son nez. Un tunnel de verdure tenant le reste du monde à distance. Une terre battue sans relâche ornée d’une fine couche de gravillons. Le meilleur revêtement du monde. Un crépitement apaisant. Une invitation à l’élan régulier. Quelques rares croisements rappellent qu’il y a un monde à l’extérieur, une chicane, trois secondes de palpitations et c’est oublié.
En pratique motocycliste, un filet de gaz est une douceur exquise. Dernier rapport enclenché, départementale pittoresque, à peine viroleuse. Alors la moto, parce que le régime moteur n’est pas trop important, offre une sensation de flottement. Le moteur n’a pas besoin d’être sollicité, la consommation d’essence est au plus bas à cet instant, le bruit feutré de l’échappement apaise. La délicate sensation de glisser s’offre au motard attentif.
Filet de gaz est l’expression qui convient pour décrire la vingtaine de bornes séparant Flers de Domfront. Douceur et délicatesse existent en ce bas monde pour celles et ceux qui les laissent s’approch… OH BORDEL C’EST QUOI CE MUR CON DE CON ?
Suivre le panneau en direction de Domfront sur un coup de tête a couté l’équivalent d’un an de grimaces devant la consternante vacuité des réseaux sociaux. Le tout concentré en une lente ascension de trop de minutes. Domfront se paye cher, longtemps et fort. Mais Domfront régale : une carte postale du Moyen-Âge plantée là, en haut de la colline. Les façades élégantes aux pierres taillées au cure-dents, le clocher de l’église qui fait son élégante. En haut, les ruelles pavées, l’épicerie charmante et les chiliennes en terrrase au pied de l’église fignolent l’ambiance carte postale.
Déjeuner sur les sacoches du vélo, en haut de la ville, au pied du château du XIIème Siècle, avec vue sur la vallée.
Il est 13 heures, le soleil tape, tout le monde est planqué pour déjeuner, et la côte qui fut une douleur offre un panard de l’espace intergalactique au cycliste requinqué. Il aura fallu 3 coups de pédale pour s’éloigner de l’église et yolo, les freins c’est pour les nazes, le tapis déroule, l’air chaud s’engouffre dans la chemise et la fait claquer au vent, Gambino prend de l’allure, le mur de l’aller est une chute libre au retour, il en reste un peu je vous le mets quand même, un dernier gauche droite pour s’engouffrer dans un sens interdit, éloge de la transgression, les doigts sur les leviers de frein à l’appproche de la voie verte, Sainte Verdure réapparaît, apaise malgré la chaleur et pose un dilemme qui fait poser le pied à terre.
Le Mont Saint-Michel… Tentant.
…
Naaan… une autre fois.
Plus chahuteuse, plus proche du chemin de forêt que du chemin cyclable, la voie verte maintient une relative fraîcheur. Les bornes déroulent sans y penser - c’est pratique le pilotage automatique, le contre coup des grimpettes champêtres matinales tombe sur les épaules.
Volets fermés, rideaux métalliques tirés, rares terrasses pliées, même les places de stationnement ont lâché l’affaire et accueillent deux pauv’ bagnoles. Ceaucé, en ce tout début d’après-midi qui cogne un peu, est aussi accueillante qu’une mine de charbon abandonnée. La Journée Nationale de la Sieste bat son plein.
Le camping municipal compte une immense étendue en plein cagnard et quelques emplacements partiellement ombragés séparés par des haies. Celles-ci feront office de séchoir pour la lessive du jour. Il y a deux toilettes et deux cabines de douche propres, dont une aménagée pour les personnes à mobilité réduite. Résultat, l’un des rares emplacements occupés aujourd’hui compte une telle personne. Penser un lieu pour toutes et tous fait toute la différence. Au pied du camping, un étang où une demi-douzaine de canards passent l’après-midi à fumer des pétards au soleil au bord de l’eau puis piquer une tête quand l’envie leur prend. Sous un auvent en bois, une table de pique-nique restera à l’ombre jusqu’en fin de journée.
Le bureau idéal pour celles et ceux qui ne veulent surtout pas travailler.
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