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Main dans la main

Attentat à la pudeur

Cette minute-là est à l’image des 48 que compte le documentaire de Maïram Guissé et Ruddy Williams Kabuiku, L’amour en cité.

Le casting

Le lascar à visière autocollée s’appelle Trésor. Il vient de Noisy-le-Grand, dans le 93. Et les meufs, c’est son kiff. C’est lui qui le dit. Mais kiffer les meufs au milieu de ses négros, c’est coton, l’ami. C’est d’la haute voltige en chaussures de plomb. Pour lui comme pour les autres.

Jacky vient de Canteleu, dans la banlieue de Rouen. Sa patate chaude à elle : les manifestations d’affection avec sa mère. Façon de parler.

Sofiane est catalogué en une phrase, deux respirations et trois secondes. La fierté gay dans les quatre premiers arrondissements de Paris, c’est bien. La même fierté à Douchy-les-Mines, dans la banlieue de Lille, c’est comme un manchot qui participe à un tournoi de Street Fighter II. C’est un challenge, un acte de foi.

Julie est blanche comme un cachet d’aspirine et blonde comme les blés. Mais téci quand même. Provenance : Créteil, banlieue parisienne. Créteil, pour celles et ceux qui ne savent pas ou pour les sachants qui en savent peut-être moins qu’ils ne le pensent, c’est la ville aux choux. Les Choux de Créteil, donc: ces tours rondes de quinze étages aux balcons semblables aux feuilles d’un certain légume. Julie, au milieu de ces choux à la noix, est femme et fière de l’être. Donc la gente masculine en quête de docilité, c’est pas sa came.

Les choux de CréteilLes choux de Créteil

Farah est la Parisienne de la bande. La Porte de Bagnolet, le Boulevard Mortier, elle y a usé les semelles de ses Nike Air et limé le cul de ses joggings en stagnant sur les vieilles marches. Aujourd’hui, toute cette petite zone retrouve une seconde jeunesse et avec le tramway aux voies verdoyantes et aux arrêts colorés. Mais quinze ans plus tôt, la moitié du boulevard se minait la tronche au Valium ou à la gnôle pour oublier le décor. Et les ados attendaient de grandir pour aller voir ailleurs.

Enfin, il y a Ali, de Montigny-lès-Cormeilles, dans le Val d’Oise. Les valoches de ce gars-là, comme beaucoup d’autres finalement, c’est la famille. Ça pèse un âne mort, les darons. Amour, respect et tout le tralala, bien sûr. Mais, bon sang, c’est lourd à porter.

Gouaille et élégance

Si l’amour est universel, l’environnement social vient réajuster quelques paramètres malgré tout. Honnêtement. Histoire de. Et ce réajustement, si difficile à faire comprendre, est implicite mais présent tout au long du documentaire. Grâce à ces oiseaux-là. Qui parlent. Avec gouaille, élégance, tendresse, humour ou pudeur. Selon le sujet abordé ou le degré d’intimité atteint.

Oui, le contexte social a des incidences. Le rapport aux parents n’est pas le même — la complicité/tendresse entre parent et enfant est tout sauf systématique. Le rapport à l’amour n’est pas le même, souvent parce qu’on a vu ses parents s’aimer d’une certaine façon. Oui, les parcours de vie font qu’une relative mixité sociale s’opère parfois au fil du temps. Selon le parcours universitaire, les expériences professionnelles, les changements de cap dans une existence. Mais la mixité a deux revers. Recto, c’est un accessoire pour celui qui vient d’en haut — un truc cool de neo hippie. Verso, un sentiment diffus et viscéral vient régulièrement vriller le bide de celui qui vient d’en bas — provoqué par cette étrange et inconsciente phéromone émise par l’autre. Comme un message subliminal.

Reste à ta place, ma gueule.

L’amour en cité est un film intelligent, délicat et plein d’humour. Amour comme sujet, contexte social comme complément. Et regard porté sur le film par le spectateur comme indicateur social. Dis-moi comment tu perçois, je te dirai qui tu es.

Un film épuré et simple. Une à deux valeurs de cadre par personne. Interviews in situ, non pas tant par souci d’authenticité que par volonté de personnification, de caractérisation de cette putain de téci. Pour ce faire, quelques élégants plans de coupe dans les rues et sur les toits de ces cités. Aux heures creuses. Quand ça tourne au ralenti, que celles et ceux qui stagnent sont peu nombreux. Que le gris béton et les vertes pelouses se cognent en silence. Les danseurs, autre proposition esthétique et narrative des auteurs, sont peut-être de trop, bien que parfaitement compréhensibles : épure et simplicité ne signifient pas pauvreté esthétique. Mais là, ça se révèle accessoire. Comme la mixité sociale pour celui d’en haut.

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