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Lady Jpeg 5/6 | Suceurs de pouce

Looking for Le(n)na

Les épisodes précédents :


L’édito flegmatique de Munson parait en 1996. La même année, Jeff Seideman, journaliste scientifique chargé de relations publiques dans l’imagerie, se voit confier un boulot: organiser la cinquantième conférence annuelle de l’IS&T (Society for Imaging Science and Technology) — énième assoce de buveurs de p’tit lait. Événement prévu pour l’année suivante. Deux journées de débats et d’ateliers sur l’imagerie numérique. Algorithmes et équations à tous les repas. Cinquante ans passées à se palucher sur la compression d’image. Marquer le coup semble obligatoire.

Seideman fait tourner l’olive dans sa boîte de conserve crânienne. À toute vitesse. Week-end à Disneyland, strip-teaseuses, saut en parachute, séjour à la montagne, gang-bang pluri-ethnique, partie de pêche… L’olive tourne. Des nuits entières. Brainstorming solitaire.

L’idée survient, comme c’est souvent le cas, au terme d’une insomnie destructrice. Le lendemain matin, pendant le télé-achat, après deux heures de sommeil et une bonne douche, il prépare le petit-déjeuner pour sa petite famille. Quand Madame arrive, il lui met la main au panier.

Graou.

Madame glousse et se met à table. Œufs brouillés, bacon et pain grillés. Leurs deux gamines à gueules de farfadet déboulent, s’installent, s’empiffrent et filent au bahut. Alors Madame se trémousse. Jeff la pelote une dernière fois puis prend les clés du break et taille la route. Pour aller voir ses potes, les buveurs de p’tit lait.

Lenna, Lenna, Lenna. Ad Libitum.Lenna, Lenna, Lenna. Ad Libitum.

C’est qui?

La question qu’il pose à toutes et à tous. Un portrait à la main.

Un nid à problèmes.

La réponse qu’il obtient le plus souvent. Et les mecs détournent le regard.

C’est qui?

La question qu’il pose. Cette image, il l’a dégotée dans ses archives.

Toute une histoire.

La réponse qu’il obtient. Quand le flegme scientifique opère.

C’est qui?

La question. Cette image, il l’a vue des centaines de fois.

Une pute suédoise.

La réponse. Et celle-ci le conforte dans son idée. Et l’incite à poursuivre. En tripotant sa femme, tous les matins. La science, c’est comme le showbiz: tout le monde est copain. Pour dégoter une info, rien ne vaut une grande famille. Un numéro de téléphone et une adresse. Pas de quoi écrire une biographie mais suffisant pour prendre contact. Il appelle. Il bafouille un peu. Elle ne comprend pas mais l’écoute. Elle rit puis se tait un instant.

Oui.

Le plus beau mot du monde.

Alors il appelle Playboy. Pour expliquer et convaincre.

OK.

Une variante pragmatique du plus beau mot.

Le lundi 19 mai 1997, veille de la Cinquantième Conférence Annuelle de l’IS&T, elle atterrit à Edward Lawrence Logan, l’aéroport de Boston. Un molosse du magazine pour hommes vient la chercher. Il lui reluque les genoux mais ne les touche pas. Elle n’a rien fait de mal. Pas violation du copyright, pas sanction. Il lui serre délicatement la mimine, récupère sa valise à roulettes et la conduit à son hôtel.

Pendant deux jours, tourisme et bons restos. Et Playboy paye. Pour tout. Le voyage pour venir, les balades en attendant, le molosse pour veiller.

Mais, le mercredi 21 mai 1997, c’est Jeff Seideman qui la reçoit. Il est sur le pas de la porte du bâtiment qui accueille la conférence. Avec le léger vent, sa cravate à motifs serpente sur son épaule. Il la rattrape au vol et la glisse dans sa veste.

Une pince à cravate, ce serait plus élégant.

Idée soufflée par sa femme, le matin même. Mais le stress, c’est comme la branlette.

Quand la berline se cale le long du trottoir, une légère odeur de coopérative agricole parfume l’instant. Jeff soupire. Le stress, pour lui, c’est comme les piments — les intestins dégustent. Des douceurs du genre, il en fera quelques unes encore. Jusqu’à ce qu’il la fasse venir sur scène.

Le molosse descend, fait le tour et ouvre la portière arrière. Un imperméable pour se protéger du vent. Cheveux coupés courts, beaucoup de sel et peu de poivre.

Lenna, tout simplement.


Sonnet for Lena

O dear Lena, your beauty is so vast
It is hard sometimes to describe it fast.

I thought the entire world I would impress
If only your portrait I could compress.

Alas! First when I tried to use VQ1
I found that your cheeks belong to only you.

Your silky hair contains a thousand lines
Hard to match with sums of discrete cosines.

And for your lips, sensual and tactual
Thirteen Crays2 found not the proper fractal.

And while these setbacks are all quite severe
I might have fixed them with hacks here or there

But when filters took sparkle from your eyes
I said, Fuck this shit. I’ll just digitize.”


Poème écrit par Thomas Wallace Colthurst (à l’époque étudiant en mathématiques au MIT, aujourd’hui ingénieur logiciel chez Google) et publié le 9 novembre 1993 sur le groupe Usenet talk.bizarre.


Les épisodes suivants :


  1. Quantification vectorielle, méthode de compression de données.↩︎

  2. Superordinateur construit dans les années 1970, conçu pour atteindre de très hautes vitesses de calcul.↩︎

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