Certaines œuvres craquent parfois le slip de celles et ceux qui les découvrent. Sensation toujours étrange — surtout quand elle arrive par surprise. Cet étrange phénomène m’est arrivé avec The Uprising, un film de Peter Snowdon, lorsque je l’ai découvert à sa sortie en 2014.
Là, il y a déjà un problème : définir ce film. Dans un entretien pour le documentaire A Life in Pictures sur la carrière de Stanley Kubrick, Steven Spielberg dit, à propos de 2001, L’Odyssée de l’Espace, qu’il ne s’agit pas de science fiction mais presque d’une éventualité scientifique. Sa façon à lui de redéfinir une œuvre, de se l’approprier. Mieux l’appréhender. Il en va de même ici. Documentaire serait réducteur. Fiction serait mensonger. The Uprising est une équation impossible :
1 + 1 + 1000 = 1
Un qui sublime tous les autres.
Ici, le héros, c’est la rue. Les gens. Les gens dans les rues de Tunisie, d’Égypte, de Lybie, de Syrie, du Yémen et de Bahreïn. Entre décembre 2010 et octobre 2011, pendant le Printemps Arabe qui a commencé en hiver. Les gens dans les rues filmés par les gens dans les rues. C’est la seule source d’images du film : les vidéos amateurs tournées à l’arrache par les manifestants. Non, lesdites images ne sont pas utilisées pour raconter les protestations en question ou les contextualiser. Non, elles ne sont pas une collection ou une accumulation, tel un zapping indigeste de chaîne d’infos en continu remplissant le vide. Il s’agit d’une scénarisation : aller puiser dans ce puits sans fond d’images pour créer une nouvelle histoire. L’histoire d’une révolution imaginaire, d’un soulèvement de peuple fictif. Il s’agit de décontextualiser pour tenter de dessiner un archétype de tremblement de la base.
On a donc fini par assumer quelque chose qu’on rechignait à faire au départ : monter le film en ignorant toutes les frontières qu’on a pourtant l’habitude d’utiliser et de disséquer pour comprendre cette région. Aussi, il me semblait intéressant de détruire des frontières qui sont en partie des constructions coloniales et qui sont maintenues par des chefs d’Etat contestés par ces révolutions.
C’est bien ce qui risque de défriser plus d’un poil. C’est pourtant ce qui fait la saveur, ce qui fait de cet objet un film. The Uprising est un mash-up d’une heure vingt. Un travail lent et difficile consistant à mélanger plusieurs sources pour créer une nouvelle œuvre qui raconte une nouvelle histoire. Mélanger, découper, recadrer, altérer les couleurs… Remixer la réalité.
1 + 1 + 1000 = un autre
Un soir d’ivresse, Pablo1 a frappé du point sur la table, s’est redressé brutalement puis a lâché sa bombe ultra-galvaudée depuis mais tant pis:
Les bons artistes copient, les grands artistes volent.
Comprendre : ne pas s’excuser de taper dans ce qui a déjà été fait — c’est là pour çà. Les artisans derrière ce film n’ont pas seulement taper dedans, ils l’ont sublimé. Ils ont volé toutes ces images pour dire autrement. Donner un autre souffle. Raconter leur propre histoire.
Craquage de slip.
Picasso pour les intimes↩︎